"LES FEMMES SDF AVEC LEUR CHIEN EXISTENT!" TéMOIGNAGE EXCEPTIONNEL D'UNE JEUNE FEMME VIVANT DANS LA RUE AVEC SON BULLDOG ANGLAIS

GEO a recueilli le témoignage d'une jeune femme vivant dans la rue avec son chien depuis près de deux ans. Préjugés, manque de places d'accueil et d'hébergement, besoins spécifiques : elle confie son indignation et ses espoirs de changement.

Nous la rencontrons devant sa tente, alors que le soleil de plomb peine à laisser place à la fraîcheur toute relative d'un soir d'été. Amélie*, 36 ans, vit à Lyon* avec Marius*, Bulldog anglais de sept ans dont l'apparence et le comportement reflètent les soins attentifs et l'amour apportés par sa maîtresse. Le contact s'est noué grâce à l'association SOS Bulldog, qui a fait don de matériel pour son chien.

*Les noms et lieux ont été changés afin de garantir la sécurité des personnes citées.

GEO : Depuis combien de temps êtes-vous dans cette situation, et quelles circonstances vous y ont conduite ?

Amélie* : Cela fait près de deux ans d'affilée que je vis dans la rue avec Marius*, mais je suis sans domicile fixe depuis onze ans. À l'origine, il y a une fracture familiale liée à mon homosexualité. J'ai ainsi vécu de foyer en foyer, entre ceux "d'urgence" où l'on a l'obligation de rentrer le soir et ceux de "stabilisation", qui laissent davantage de liberté tout en accompagnant vers l'emploi.

Mais ce n'est que plusieurs années après avoir quitté ma famille que je me suis finalement retrouvée dans la rue, à cause d'un accident du travail. Métallurgiste, il m'était impossible de retourner sur les machines, au risque de représenter un danger pour moi-même et pour mes collègues. Après une bataille administrative perdue, j'ai refusé de m'endetter, et j'ai donc repris mon sac à dos.

Quel rôle votre chien joue-t-il dans votre vie ?

Avant même de me retrouver dans la rue, j'ai longtemps réfléchi avant de prendre un chien sans avoir de logement fixe. La décision a mûri au fil de mes rencontres. J'ai notamment croisé le chemin d'une demoiselle qui avait fui la guerre dans son pays et qui, traumatisée, ne parlait à personne. Être seul rend fou, en ai-je conclu. Depuis qu'il est à mes côtés, Marius* me sert de psychologue.

Je parle beaucoup à mon chien, je lui raconte tout comme d'autres se confieraient à leur meilleur ami.

Par ailleurs, on n'a pas toujours de but dans la journée ; or, un chien, lui, sait toujours où aller. C'est aussi mon "bébé". Bien qu'il s'avère dissuasif par sa carrure – il faut dire qu'au réveil, il n'a pas du tout l'air aimable – , il est plus un confident qu'une "arme".

Quels sont les principaux dangers auxquels vous êtes confrontés tous les deux ?

Les agressions. En début de semaine, une opportunité de logement s'est refermée à cause d'un document administratif arrivé quelques heures trop tard. À ces personnes qui m'ont alors parlé de "temporalité", j'aimerais pouvoir dire aujourd'hui : "voilà, depuis que vous m'avez privée de cette chance, le nombre de fois où je me suis fait molester".

Chaque jour est un danger supplémentaire pour ma vie.

Quant au climat, il est très difficile à supporter. Dans la rue, pluie et vêtements ne font pas bon ménage, car il est impossible de faire sécher quoi que ce soit. Lorsque la peau ne respire pas, seule une douche permettrait de se réchauffer. La première année dehors, mes pieds étaient dans un tel état que les médecins m'ont proposé l'amputation. Au final, des soins m'ont permis de conserver les doigts.

S'agissant de mon chien, les principaux dangers sont les empoisonnements et les vols. Avant Marius*, j'ai eu un Dogue argentin. Pour notre premier hiver ensemble, nous nous étions installés à Grenoble*. "Ici, on va te prendre ton chien", m'a-t-on alors avertie. Je me suis fait tabasser, et on me l'a effectivement volé.

Avez-vous des stratégies pour limiter les risques ?

Se déclarer auprès des différentes autorités : la mairie, les gardiens de parc quand il y en a, les camions de maraude… Il faut également choisir un endroit stratégique pour la sécurité : sous un lampadaire doté de vidéosurveillance, par exemple. Et où il y a du passage toute la nuit, pour avoir toujours au moins une personne à alerter en cas de problème.

Il m'arrive parfois de faire croire que je ne suis pas seule sous la tente – ce que les ronflements de mon chien semblent confirmer. "C'est ton mari, là-dessous ?", me demande-t-on. Je réponds : "Oui !"

Sans chien, vous pouvez néanmoins faire croire que votre compagnon rentre bientôt. Mais d'autres femmes préfèrent se cacher. Avez-vous aperçu celles qui dorment dans les bus nocturnes ? Le jour, elles s'assoient près des points d'accueil des gares. Sachez que malgré leurs bagages, il ne s'agit pas de simples voyageuses.

Quels sont les besoins spécifiques d'une femme vivant dans la rue ?

Les commodités nous sont indispensables. Des points d'hygiène se trouvent au niveau des accueils de jour, mais lorsque ceux-ci sont mixtes, les femmes restent minoritaires. Il faut dire que certains hommes s'en servent comme de véritables terrains de chasse !

Peu d'accueils de jour sont spécifiquement dédiés aux femmes, et nous sommes mal informées de leur existence. Cette discrétion évite certes que les hommes ne les repèrent, mais si les premières concernées ne sont pas mises au courant, alors, à quoi bon ?

C'est justement l'accès compliqué à des toilettes qui a déclenché ma maladie (une inflammation chronique du tube digestif, NDLR). À force de se retenir, les entrailles s'infectent. Pour d'autres, ce sont les reins qui finissent par lâcher. Faut-il attendre d'arriver à 60 ans et d'être équipée d'une poche (de stomie, NDLR) pour que votre état de santé vous confère une priorité pour un foyer ?

Quelles sont les solutions accessibles à une femme SDF avec un chien ?

Tandis que pour les hommes il existe un certain nombre d'options, s'agissant des femmes avec un chien, en revanche, on ne compte qu'une trentaine de places dans les foyers de stabilisation, une quinzaine en foyer d'urgence, et un seul foyer 115 (numéro d'urgence sociale, NDLR) qui vous accueille avec votre animal pour la nuit (rappel : le nom de la ville a été changé). C'est insuffisant.

Lorsque j'appelle en précisant que j'ai un chien, on me répond : "Madame, avez-vous pensé à le faire garder ?" Si le terme d'abandon n'est pas prononcé, il est sous-entendu. "Ne préféreriez-vous pas avoir un enfant ?", m'a-t-on aussi lancé. Dès ma première rencontre avec une assistante sociale, le ton était donné : "Je suis désolée, mais vous n'avez vraiment rien pour m'aider à vous trouver une place."

Vous sentez-vous épaulée dans vos démarches ?

Pour ma part, non. Mais s'agissant des chiens, l'association Gamelles Pleines fournit de l'alimentation – une fois par semaine, la quantité correspondant seulement à un "dépannage" d'une journée – ainsi que du matériel. La santé étant contrôlée, l'animal peut être retiré en cas de maltraitance : je l'ai vu pour le cas d'un chien souffrant de grave déshydratation par la faute de son maître.

Autrefois, avant que cette distribution ne soit mise en place, les SDF se cotisaient pour acheter des paquets de croquettes qu'ils partageaient ensuite.

Que faudrait-il améliorer, selon vous, pour les femmes dans votre situation ?

En premier lieu, les considérer. Les femmes SDF avec leur chien existent ! Par ailleurs, dans l'esprit des gens, une femme devrait forcément avoir un petit chien, et non un gabarit plus imposant. En tant que femme, j'ai tout à fait le droit de n'avoir ni mari, ni enfant, juste mon chien, au même titre qu'un homme. Nous sommes nombreuses, or, nous souffrons de ne pas être entendues. Le regard doit changer.

Amélie* est toujours en attente d'un logement pour elle et son chien. Elle espère avoir enfin un toit d'ici la rentrée, afin de ne pas subir un hiver de plus dans la rue.

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